Des yeux pour entendre de Oliver Sacks

Des yeux pour entendreBonjour à tous,

Je vous ai partagé récemment une de mes dernières lectures provenant du même auteur L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau. La rencontre de plusieurs personnes autistes avec quelques uns de leurs défis spécifiques justifiait déjà que l'on s'y intéresse comme l'avait été la présentation de Temple Grandin dans Un anthropologue sur Mars. Vous lirez avec intérêt toute présentation d'un groupe par M. Oliver Sacks tout d'abord parce qu'il a le regard d'un neurologue et avec cette conviction que la plasticité du cerveau humain peut conduire certaines personnes à des façons uniques et différentes d'être humain. Cela le conduit à un ensemble de réflexions sur certains défis neurologiques qui peuvent éclairer tel ou tel aspect de la vie d'un enfant, d'un jeune ou d'un adulte autiste.

Nous n'avons pas assez encore pris la mesure des transformations cérébrales associées à l'autisme et en même temps, nous savons que cela se fait comme dans un prisme ou les caractéristiques de chacun diffèrent de celles d'un autre dans son esprit et son cerveau aussi. Pour moi qui me suis spécialisé dans l'autisme, pour une raison d'abord pratique, parce que je devais accompagner au mieux  des personnes autistes dans mon travail d'animation dans un internat pour adultes depuis 10 ans,, c'est d'un intérêt particulier pour les parents comme pour les professionnels.

Plus j'avance dans la connaissance de l'autisme, je le dois non seulement aux très nombreuses lectures dont vous pouvez vous faire une idée des plus significatives. En effet, elles ont fait l'objet pour la plupart d'entre elles d'une introduction dans ce site. Mais aussi je le dois aux accompagnements d'enfants, de jeunes et d'adultes chez eux ou dans leur structure d'accueil en complément et parce que je recherchais un accompagnement plus individualisé, rendu difficile dans un internat avec 26 adultes. Plus j'avance dans cette connaissance et plus j'ai l'intime conviction qu'il y a des clés à aller chercher chez des chercheurs en neurologie comme le fut Oliver Sacks. 

Il n'est aucunement question de personnes autistes dans Des yeux pour entendre mais les réflexions de l'auteur sur les conditions de développement de l'enfant sourd de naissance par exemple sont particulièrement interessantes pour l'éducation d'un enfant autiste. D'autant plus selon moi qu'il s'agit d'une difficulté de communication orale qui affecte un nombre important des personnes autistes. 

Basé sur des personnes à la notoriété qui n'est plus à faire en matière de développement cognitif, affectif, neurologique et intellectuel, je pense à ces auteurs dans lesquels Oliver Sacks a puisé bien des bases de sa réflexion: le scientifique russe, neuropsychologue A. R. Luria et le biélorusse L.S. Vygotski pour ne citer qu'eux parmi de très nombreux auteurs cités, ces citations typiques de la manière scientifique d'investigation de M. Oliver Sacks. Ces deux chercheurs dont l'immensité de l'oeuvre est parue plus de 50 ans après la mort de Vygotski (mort en 1934) et sert de référence à bien des études récentes notamment dans les matières neurologiques. Il faut dire que des expérimentations récentes n'ont fait que confirmer ce que leurs propres études, certaines en commun, d'autres séparemment, avaient établies voilà plus de 50 ans. 

Il y a des clés révélées dans cet ouvrage de facteurs de développement cognitif ou intellectuel de l'enfant.  Mais si l'on ramène ces découvertes sur l'importance de l'éducation apportée dès les premières années à la plasticité du cerveau  c'est bien des conclusions encourageant toute forme éducative quel que soit l'âge, auxquelles l'auteur conduit.  Il étudie des personnes marquées par des pathologies très variées étudiées dans toutes ses études rassemblées dans ses livres.  Oliver Sacks met en lumière des adaptations neurologiques d'un hémisphère à l'autre, par exemple, ce qui a été largement établi chez les signeurs, c'est à dire les personnes sourdes de naissance et qui ont développé très tôt un langage de signes très riche, avec sa propre grammaire, ses propres structures, constructions qui n'ont rien à envier à notre langage parlé.

Dans cette éducation des personnes sourdes dès leurs premières années, l'auteur indique ce qu'une éducation basée sur le contrôle de l'enfant plutôt que sur l'épanouissement et le florissement de son imagination, l'appui sur ses motivations, notamment pour la personne sourde, sur les signes comme moyen de communication.  

Au détour de l'histoire éducative de la communauté sourde, nous découvrons l'apport symbolique puissant d'une personne sourde française Laurent Clerc qui partira à l'invitation de  Gallaudet  fonder la première école pour les sourds aux Etats Unis, qui deviendra le porte drapeau de l'émancipation des sourds.

Oliver Sacks dans Des yeux pour entendre  nous invite à découvrir l'histoire de l'éducation de la personne sourde et finalement la quête de son identité, s'éloignant du handicap, de la personne assistée par la voie de l'éducation pour accéder à un épanouissement joyeux, une belle autonomie et une belle insertion dans le monde de sourds et dans le nôtre. 

Il a été témoin grâce à des liens dont il a le secret, de la petite révolution qui en 1988 poussa la plus célèbre université pour les sourds Gallaudet à refuser l'élection d'un président non sourd. Une étape de l'émancipation de la communauté sourde. 

Ce sont les pages du développement de la pensée et du langage qui me semblent pouvoir être les plus inspirantes pour toute personne impliquée dans le développement de la personne autiste quel que soit son âge.

Vous trouverez ci-dessous (descendre plus bas dans la page) quelques citations fort instructives. Il n'est pas question d'assimiler les difficultés propres à des enfants sourds avec celles du développement spécifique des  enfants dans le spectre autistique  mais les exigences éducatives me semblent bien percutantes aussi. Il faudrait associer aux mères, les pères, les aidants, les volontaires, si les mères sont mises en valeur par Oliver Sacks ou Hilde Schlesinger, c'est à cause de leur insistance pour que ces formes de dialogues soient instaurées dès les premières semaines après la naissance, on dirait.

Bien cordialement et solidairement 

Christophe   

QUELQUES CITATIONS INSTRUCTIVES

 Quelques citations tirées de l'ouvrage.

Oliver Sacks s'est beaucoup appuyé sur un ouvrage de  Hilde Schlesinger de  1978 à la recherche de conditions favorisant la communication des enfants sourds qui essayait de répondre à cette question:

« Est-ce que l’absence de stimulation auditive précoce, de feed-back, de communication, favorise en soi des modèles de comportement et de non-réussite, ou est-ce que la surdité profonde précoce entraine des réponses particulières des parents, des maures, des frères et sœurs et des amis qui contribuent à un ensemble de déficiences cognitives et comportementales ? » (Schlesinger H.S., 1978]. cité dans cairn info

L'acquisition du langage est analysée dans les pages 115 à 117 dans  Des Yeux Pour Entendre de Oliver Sacks

"Les échanges sociaux et affectifs aussi bien qu'intellectuels s'engagent dès les premières semaines de la vie et Vygotski s'est beaucoup intéressé à ces stades pré-linguistiques et pré-intellectuels mais sa préoccupation principale n'en demeure pas moins le langage et la pensée et la façon dont ils participent conjointement au développement de l'enfant. Vygotski n'oublia jamais que le langage a toujours d'emblée une fonction à la fois sociale et intellectuelle pas plus qu'il ne néglige à un seul instant la relation qu'entretient l'intellect et l'affect. Il garda toujours à l'esprit que toute communication, toute pensée est aussi teintée d'émotions en cela qu'elle reflète "les besoins et les intérêts personnels, les inclinations et les impulsions de l'individu" 

"On peut avancer que toute perturbation de la vie communicationnelle aura des répercutions immédiates et simultanées sur l'éveil intellectuel, le comportement social, le développement langagier et la maturation affective. Et c'est ce qui se produit trop souvent quand l'enfant est sourd."

Hilde Schlesinger et Kathryn Meadow ont particulièrement étudié dans Sound and Sign la surdité infantile qui "est bien plus qu'un diagnostic médical, c'est un phénomène culturel dans lequel les profils et les problèmes sociaux, linguistiques et intellectuels sont inextricablement liés". "Grâce à des observations minutieuses et approfondies poursuivies pendant ces 20 dernières années, Hilde Schlesinger et son équipe ont montré à quel point les problèmes qui peuvent assaillir les sourds depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte s'enracinent dans les premières communications, trop souvent défectueuses ou distordues entre la mère et l'enfant (puis entre l'éducateur et l'élève)"

p.120

"Schlesinger a particulièrement étudié comment les enfants - notamment les enfants sourds - doivent être "encouragés" par la mère à passer d'un monde perceptuel à un monde conceptuel. Elle a fait apparaitre le "saut dialectique" entre la sensation et la pensée dont parle Vygotski, n'implique pas seulement la parole, mais une certaine qualité de parole, un dialogue riche en dessin communicationnel, en réciprocité et en questions judicieusement choisies" 

"C'est à cette condition que l'enfant peut réussir "le grand saut".

Les enfants neurotypiques manifestent là une insatiable curiosité, il recherchent constamment les causes et les significations, ils passent leur temps à demander:"Pourquoi ...?" "Comment...?" "Et si...?"

En visitant une école d'enfants sourds, Oliver Sacks a été frappé "par l'absence de ses questions et leur incompréhension des formes interrogtives" "de si mauvaise augure"

p.124

L'attitude des mères suggérées par Sacks

"Elles ne se contentent pas de "décrire" le monde perceptuel mais aident leurs petits à le réorganiser et à raisonner sur de multiples possibilités."

p.125

"Elles favorisent le monde conceptuel qui loin d'appauvrir le monde perceptuel, l'enrichit et le hausse continuellement au niveau du symbole et de la signification."

"Un dialogue pauvre, un échec de la communication, estime Hilde Schlesinger, entraineront non seulement un rétrécissement intellectuel mais de la timidité et de la passivité. Alors qu'un dialogue créateur des échanges communicationnels intenses engagées dès les premières années éveilleront l'esprit et l'imagination de l'enfant en lui insufflant une indépendance, une audace, une gaieté et un humour qu'il conservera toute sa vie"

"Pour Schlesinger quelque soit le support du dialogue fait de paroles ou de signes, seul compte le dessein communicationnel: viser à controler son esprit ou au contraire aspirer à stimuler sa croissance, son autonomie et l'expansion de son esprit"

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